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Avis aux amateurs de sac poubelle volant

9 Mai

Je vous tiens. Je vous ai vu de mes yeux vu, il y a dix ans dans les salles de cinéma, vous prostrer tous devant cette scène. Cet instant. Un sac poubelle qui vole et qui danse sur la musique de Thomas Newman. Une salle entière la bouche fermée, les mains à plat sur des jambes sagement alignées, les pieds fondus disparus je ne sais où, les yeux et les oreilles comme jamais.

Petit rappel avec cet extrait du film American Beauty, de cet instant que vous n’avez jamais oublié si jamais vous l’avez vu, « the most beautyful thing he’s ever filmed ». Wanna see?

Tout ça pour? Parce que je ne parviens à évoquer une personne qui m’est chère – sans que cela soit réciproque et ne le sera jamais -, au sujet de qui il me faut invoquer une poésie pour parler de la sienne. Il était donc une fois Franz Schubert et son sac poubelle qui vole…

Tout de suite, bouffons la truite! Merveilleuse truite, haïssable truite; qui de son œil frais et moite flingue « Le Roi des Aulnes » qui tue les enfants. Pour les flippés, papa est là.

Pour les autres, tendez-donc une oreille à « Une Ballade écossaise » (« Eine altschottische Ballade »), puis suivez scrupuleusement la posologie du docteur. Pas plus que sa musique Schubert ne vous touchera, il s’assiéra simplement à vos côtés et vous atteindra ainsi dans votre intégrité physique. Il se peut qu’il vous blesse si vous flirtez avec sa dangereuse présence.  Il vous dira des choses que vous écouterez comme un aveugle, anesthésiant tous vos membres moteurs, et vous prendrez goût au froid de son étreinte, cette chose glaçante mais aimée parce que familière et chaudement enfouie. Le sac poubelle décolle sous les Ô de Eduard. Le mal ronge Eduard. Eduard nous ronge. Pour les flippés, même maman n’est plus là. *

Il se passe des choses hallucinantes ( = rares et précieuses) dans la musique de Schubert.  On y croise un monde fou. La ligne de basse est toujours chantée, mélodieuse, pourvue de la faveur du thème, évoquant Tchaikovsky et Chostakovitch. La mélodie est quasi-systématiquement la résultante de l’harmonie évoquant Bach et Brahms, lorsque celle-ci n’est pas officiellement contrapuntique (fugue et choral).

Un mot sur le choral. Cette forme où l’on retrouve la sérénité des choses emmenées dans le respect des lois physiques de la nature. Une levée, un posé, une tenue,  un lâché. Des objets sonores religieusement déposés dans un berceau de paille en guise de notes. Une succession d’attaques et de silence, une ode à la sacralité. Un instant de pure symétrie des sens.

Le rapport texte/musique est poussé à son extrême sensualité. Si Schubert n’apporte pas de réponses à d’éternelles questions métaphysiques, il en dévoile du moins la musique qu’elles joueraient si elles devaient nous être révélées. Voir-écouter « Gesang der Geister über den Wassern » (« Chant des esprits sur les eaux« ) et entendre le bruit de l’éternité (Ewig).*

Restons sur les eaux, juste pour dire que l’on y a croisé en barque Poulenc, Bartok, Mahler et Fauré. Impossible? L’eau peut pourtant tout contenir, l’intemporel et la modernité. Schubert n’est pas « la truite » mais le poisson merveilleux,  « un tendre amant » comme « le vent est pour la vague ».**

** (Goethe, 1820)

* Franz Schubert – Weltliche Gesänge / Gesang der Geister über den Wassern (CD) – Accentus (Interprète)

Schubert

Elektra, qui faillit ne jamais entendre ‘Ewig’, si WebOL ne veillait.

Plus on est de fous…

8 Fév

a04258d4ac498886004d054fe0890ce9.jpg… plus on Tchaikovsky,

Invitons-nous à une petite expérience schizophrénique. Marmotte – qui n’hiberne plus (réchauffement climatique oblige) – a passé hier la journée en compagnie de Schubert (les Folles Journées de Nantes ont affolé tout hier le petit écran), et elle s’est dit mince mince mince… C’est que, là encore, elle avait découvert récemment, en bonne rongeuse de pochette-cd qui se respecte, la musique de chambre de Piotr, et, en rebuvant Schubert à grandes rasades, réalisa à quel point il avait inspiré Tchaikovsky. « Je me trompe peut-être, me dit Marmotte, mais si on écoute son premier quatuor à cordes en ré majeur op. 11, dans l’Andante cantabile (2ème mvt) par exemple, c’est du Schubert! » Effectivement, les premières secondes nous affalent instantanément dans un fauteuil de schubertiade… Mais ce n’est pas tout, il y a d’autres invités… rajoute-t-elle. Un bien moins surprenant j’en conviens. Un peu plus tard dans le morceau, percent effectivement sans surprise les lumières de Dvorak avec le deuxième thème ponctué par les pizz du violoncelle. Maintenant tu vas écouter le premier mouvement me siffle-t-elle entre ses deux dents affutées. Le début fait toujours penser à Schubert, puis on croit entendre Brahms dans le court échange fugué entre l’alto et le violoncelle. Si on écoute maintenant le deuxième troisième (sorry) quatuor à cordes en mib majeur op. 30, dans Andante funebre e doloroso ma con moto (3ème mvt), il y a là un invité surprise bien surprenant… J’écoute sous les ordres inspirés de Marmotte. Toujours Schubert, je m’attends à revoir Dvorak et pourquoi pas Brahms, mais c’est différent cette fois-ci. Une irrésistible montée en pizz s’éteint avec le violoncelle, gracieusement, en deux légers rebonds, et puis… une atmosphère connue. Froide et intime à la fois. Proche et sourde. Une note obstinée d’alto, ténue. Une harmonie en friction, serrée mais pleine d’air. De l’espace et du son, en profondeur. C’est Chosta…! Le chemin se poursuit dans les bras de Schubert, puis à nouveau Chostakovitch, à la fin du mouvement. Les dernières secondes de la dernière minute sont encore un choc, mais lequel? Les quatre cordes ont toutes rejoint le registre aigu dans un point d’orgue pour rejoindre qui? Ravel? Pas sûr, je cherche encore, et Marmotte n’en dort plus le jour…

C’est beau Tchaikovsky, me marmonne Marmotte, ronronnant de plaisir.

Turangalîlâ